Déborah Fournet et Emmeline Bocherel, avocates
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Avocats et recrutement : entretien croisé entre Déborah Fournet et Emmeline Bocherel #2

15/4/2024
April 15, 2024
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Sommaire

Aujourd'hui, deuxième et dernière partie de l'entretien croisé entre Déborah Fournet d'Iris & Thémis et Emmeline Bocherel, fondatrice du cabinet Tax Suits You qui achèvent leur échange sur les questions de recrutement et de travail sur la marque employeur en particulier (Pour la première partie de cet entretien, c'est ici)

Pourquoi et comment soigner la marque employeur de son cabinet ?

Emmeline Bocherel

Selon moi, la puissance et la reconnaissance que peut acquérir une marque employeur, c'est un mélange entre un travail de longue haleine et un coup de poker qui peut se faire et se défaire très vite.

Qu'est-ce que tu pourrais conseiller à un cabinet d'avocats qui réfléchit à recruter et qui veut ainsi soigner sa marque employeur.

Déborah Fournet

A priori quand on est un cabinet d'avocats, qu'on soit individuel ou plusieurs, il y a au moins un certain nombre d’occurrences dans la vie dans laquelle le recrutement devient nécessaire. Et si on inclut les stagiaires, c'est même un exercice qui revient plusieurs fois par an.

Le premier conseil c'est qu'il se soit posé la question en amont. Le jour où un cabinet est en urgence de recrutement, il est presque déjà trop tard pour s'y intéresser. Ça c'est fondamental. L'idéal c'est de travailler sa marque employeur en permanence et de la repositionner, de la réorienter si besoin pour éviter de ne s'en soucier qu'au moment où on a ce besoin urgent de recruter.

Ça demande de s'intéresser à comment les gens se sentent dans mon cabinet, est ce que j'ai fait cet effort dans la relation humaine avec mes équipes ? Si je me rends compte qu'ils ne sont pas bien, qu'est-ce que je devrais faire pour qu'ils se sentent mieux ? Ça me renseigne sur le fait que pour mes recrutements futurs, je ne vais pas aller chercher des profils de ce type parce que je sais qu'ils ne sont pas bien, qu'ils ne me correspondent pas et que je suis en danger permanent de les voir partir.

On capitalise sur son retour d'expérience, on apprend de ce qui n’a pas marché (et il faut aussi soigner l’offboarding). Si j'en arrive à l'idée que, pour qu'une personne se sente mieux, il faudrait que je fasse quelque chose qui heurte mes valeurs, qui ne me convient pas, pour des questions financières ou matérielles, qu’est-ce que je fais ?

Les gens qui se sentent bien le disent et globalement il faut trouver l'harmonie entre ce que je suis capable de faire et ce dont les gens ont besoin pour qu'ils se sentent bien. Sans imposer et sans généraliser parce que ce qui convient aux uns ne conviendra peut-être pas aux autres et ces derniers se sentiront frustrés et auront peut-être l'impression de ne pas avoir été écoutés et considérés. Et vous générez une double frustration parce que de votre côté vous pensez "mais ce n'est pas possible, ils ne sont jamais contents" et de l'autre "il n'écoute pas mes besoins".

Emmeline Bocherel

Quand j'étais élève avocate et stagiaire à Paris et à Rennes, on me déconseillait fortement d’aller au sein de tel ou tel cabinet pour des raisons très diverses. Désormais, j’apprends que certains directeurs d'école d'avocats appellent directement les candidats pour les inciter à renoncer aux offres de collaboration ou de stage de certains cabinets.

Qu'est-ce que tu pourrais conseiller à un cabinet qui aimerait redorer sa marque employeur ?

Deborah Fournet

Si on a besoin de redorer sa marque employeur c’est que potentiellement, on part avec un train de retard ou au moins avec un caillou dans la chaussure. Souvent, ce caillou c’est une succession de mauvais départs, de comportements déplacés etc.

Ta question en appelle une autre qui est à la base de nombreux reproches de la part des jeunes arrivants dans la profession : "mais en fait, si tout le monde sait au point qu'on nous dit qu'il ne faut pas aller en stage là ; si tout le monde le sait au point qu'un directeur d'école est capable d'appeler les jeunes pour les dissuader d'aller dans tel ou tel cabinet ; pourquoi on laisse faire ça ?"

Si dans un cabinet tout le monde sait que quelqu'un se comporte mal, la première responsabilité des associés c'est de se positionner : "je ne suis pas en accord avec ce qui se passe." Le problème, c'est qu'on fait trop souvent face à cette croyance que quand celui qui se comporte mal est le premier apporteur de chiffre d'affaires dans la structure, personne n'osera lui faire de réflexion. Je dirais qu'il faut commencer par avoir l'honnêteté et l'humilité de reconnaître la faille et de se demander ce qu'on peut mettre en place pour que ça marche mieux. Ça ne va pas se faire en un jour, ça va demander un process mais au moins on pose des jalons pour arriver vers quelque chose.

Ça m'est arrivé de discuter avec des recruteurs qui me disent "Ah non chez nous il n'y a pas de problème !" alors que c'est notoire, ça va être compliqué de remonter la pente.

En revanche, quelqu'un qui me dit "J'ai souffert de tels problèmes il y a 5 ou 10 ans, vous le savez j'ai eu une expérience désastreuse avec une collaboratrice ou un collaborateur. Ça m'a fait me poser des questions parce que je me suis dit que si j'en étais venu au clash avec cette personne, c'est que dans ma façon de me comporter, j'avais probablement blessé d'autres personnes et je ne m'en étais pas rendu compte", alors là on va pouvoir travailler.

Une fois que le problème est identifié, qu'est-ce que je mets en place ? Comment je fais savoir aux autres que je l'ai mis en place ? Et là elle peut se redorer toute seule sa marque employeur parce qu'on a partagé ses failles, ce n'est pas grave. Ce qui est grave, c'est d'avoir conscience de ses failles et de ne rien faire, de les cacher sous le tapis.

Pour redorer sa marque employeur, je dirais ne pas cacher les problèmes, les mettre à jour et poser des jalons progressifs pour apporter des solutions.

Emmeline Bocherel

Complètement. Et puis je te rejoins parce que je pense à un exemple justement où, à l'inverse, une personne qui avait été stagiaire dans un de ces fameux cabinets où on sait qu'il y a des problèmes, avait signé sa collaboration en connaissance de cause et ça se passait très bien avec lui depuis ces derniers 6 mois. Avec elle, ça matchait !

Deborah Fournet

Un autre exemple qui est souvent cité c'est celui du manager caractériel qui corrige le travail de ses collaborateurs en mettant du rouge partout et qui s’énerve (je laisse la violence de côté qui est unanimement condamnable). Vous avez des collaborateurs que ça crispe, qui ne peuvent pas travailler avec un tel manager. Et puis il y en a sur lesquels ça glisse, qui considèrent que ça ne met pas en cause leur travail. C'est juste qu'il est mal luné et qu'il est hyper stressé, qu'il ne sait pas gérer son stress, mais eux n'accueillent pas ce stress. Donc en fait ils arrivent à bosser ensemble parce qu'ils apprennent plein de choses sur le fond avec lui et la forme leur importe peu, ils n'y sont pas sensibles. Et c'est OK.

Septeo

Est-ce qu'il y a des outils, des choses à mettre en place pour faire savoir qu'on travaille à améliorer la situation ?

Deborah Fournet

Sur le long terme je crois que ça se fait tout seul parce qu'on évolue dans une société où les gens se parlent beaucoup et notamment entre collaborateurs puisque c'est à eux qu'on s'adresse. Il y a aussi des associations d'anciens élèves de master qui échangent sur tel ou tel cabinet et plus le bassin dont on parle est petit, plus ça va vite, donc ça se fait tout seul.

En revanche, quand ça se fait tout seul ça prend du temps. Par exemple, si j'ai eu des problèmes parce que mon cabinet a été stigmatisé pour n'avoir que des collaborateurs avec des noms à consonance très française et des gens qui se ressemblent physiquement et absolument pas de diversité, est-ce que le jour où je recrute quelqu'un dont le profil brise cette habitude, c'est utile de publier sa photo sur LinkedIn en disant "J'ai recruté quelqu'un issu de la diversité dans mon équipe" ? Est-ce que ce n'est pas plus fort d'annoncer que le cabinet va faire du pro Bono pour une association qui favorise l'inclusion ou faire un webinaire sur comment on favorise l'inclusion ?

Il y a plein d'outils pour faire savoir plein de choses, mais le maître mot, c'est la cohérence.

Les bénéfices d'une marque employeur en bonne santé

Septeo

Pour conclure, Emmeline, est-ce que toutes les actions que vous avez mises en place portent leurs fruits ? Vous constatez que ça se passe mieux, que les gens restent plus longtemps ? Qu'ils sont plus efficaces, plus rapidement ?

Emmeline Bocherel

Je peux dire que ça me fait gagner beaucoup de temps parce qu'effectivement je recrute mieux. Les personnes qui viennent à moi savent dans quoi elles s’engagent, c'est certain qu’en affichant ce qui nous différencie, on recrute mieux. Ensuite, il ne faut pas oublier que lorsqu'on recrute sur les réseaux sociaux, les clients et les prospects le voient aussi. Ce qui permet également de consolider son image.

Enfin, puisqu’il s’agit d’une marque employeur sincère, on sélectionne des personnes qui ont beaucoup plus envie de travailler pour le cabinet et d'y rester. Leur niveau d’engagement est décuplé.

Notre process d’onboarding, qui permettait d’asseoir nos valeurs, permet également d'accompagner nos nouvelles recrues dès leur arrivée et donc d'avoir des personnes beaucoup plus opérationnelles, plus rapidement, qui sont mieux dans leur peau et qui travaillent donc mieux. Et il y a une meilleure ambiance générale aussi parce que j'aime bien quand ça fait du bruit au cabinet, c'est positif.

Enfin, notre positionnement nous permet également de consolider les relations en interne : mes équipes n'ont aucun problème à venir me voir, partager leurs difficultés et ça permet d'éviter beaucoup de non-dits, de limiter les frustrations, et d’éviter potentiellement beaucoup de mal-être et de démissions.

Ça m'aide aussi dans mon management. On travaille avec des personnes qui nous correspondent donc en général on a moins de difficultés.

Deborah Fournet

Je pense qu'il y a un point fondamental que j'entends c'est à quel point ça peut finir de convaincre, même si ça ne doit pas être le point d'entrée : une marque employeur qui fonctionne et des gens qui sont bien dans leur collaboration, c'est un super vecteur de profit. Quand ça se passe bien et quand on travaille bien, on travaille mieux. L'équipe est plus rentable.

Un recrutement, c'est une charge. C'est un peu dur parce qu'on a toujours des moyens de trouver que ce qu'on achète est trop cher, donc il faut prendre le recrutement sous le prisme de l'investissement et effectivement on va légitimement attendre un retour sur investissement en tant que chef d'entreprise.

Et pour maximiser ce retour sur investissement, il faut que le collaborateur produise bien, donc pour qu'il produise bien, il faut qu'il se sente bien, qu'il soit dans des conditions de travail qui sont agréables, qui soit en phase avec les valeurs : le type de dossiers sur lesquels il travaille, etc. Tout ça génère du profit.

Ensuite ça va poser la question du parcours collaborateur qui fait aussi partie de la marque employeur : comment je fais évoluer un collaborateur pour qu'il reste et que mon retour sur investissement soit exponentiel Je n'aime pas le prendre sous ce prisme parce que ça donne l'impression qu'en fait la marque employeur c'est un sujet de façade auquel on s'intéresse juste pour des questions de profit et de rentabilité.

Mais si les gens s'y intéressent parce qu'ils ont compris que c'est sources de profit pour eux, tant mieux ! C'est aussi un moyen de sensibiliser une part de notre population d'avocat, que c'est dans leur intérêt, que les gens se sentent bien parce qu'ils vont s'y retrouver sur le plan financier, parce que quand les collaborateurs travaillent bien, les clients sont mieux servis.

En résumé

En bref, soigner sa marque employeur, c’est mieux affirmer son positionnement sur son marché et auprès de ses équipes, se constituer un vivier de recrutement, mieux fidéliser ses équipes, décupler le potentiel de son cabinet, et même faciliter la génération de son chiffre d'affaires et de ses profits !

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Vous souhaitez en savoir plus sur le rôle de la marque employeur dans les processus de recrutement des cabinets d'avocats ? Découvrez le replay de notre webinar du 29 mars "Avocats et recrutement : où sont les collaborateurs ?"
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Emmeline Bocherel
Emmeline Bocherel
Avocate dirigeante
Tax Suits You
Déborah Fournet
Déborah Fournet
Avocate au barreau de Paris
Co-fondatrice d'Iris & Thémis

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