Aujourd'hui, nous sommes heureux de donner la parole à Hubert de Boisse, associé fondateur du cabinet Bunch Law à Lyon, membre du conseil de l'ordre et créateur et animateur de Flex, podcast sur le management des professionnels du droit. Il nous parle aujourd'hui de l'attractivité en berne du statut d'avocat collaborateur et des causes multiples de ce phénomène et des pistes de réflexion à envisager pour résoudre cette équation.
Nous assistons à un bouleversement anthropologique du rapport au travail, comme si le confinement avait conduit beaucoup d’entre nous à ouvrir les yeux sur l’essentiel et à le distinguer de l’accessoire.
Devant ce bouleversement, notre profession d’avocat peine à l’évidence à se remettre en cause et recule incontestablement en termes d’attractivité, notamment auprès des plus jeunes.
Devant ce constat, il faut faire preuve d’audace et changer de mentalités.
Cette difficulté d’adaptation tient au conservatisme des avocats, en dépit de l’attrait indéniable de leur profession. On pense à ce sujet à la citation de Sylvain Tesson sur la France, "paradis peuplé par des gens se croyant en enfer", mais force est de constater que ce paradis des gens en robe s’étiole un peu, aux yeux des plus jeunes, mais pas seulement.
Prenons la formation initiale, alors que des voix s’élèvent avec audace pour dynamiter notre vieux schéma de recyclage de la Faculté avec ses six mois soporifiques et redondants de formation magistrale, las : de révolution il n’en sera rien si l’on en croit les informations qui fuitent sur le projet de décret à venir.
Mais quelle espèce de rêve croyons-nous offrir à nos étudiants en droit avec ce passage dans la seringue de nos écoles d’avocat, qui a pour eux des allures de purge ?
Idem avec le contrat de collaboration. Certes, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain : le contrat de collaboration n’est pas mort et concerne encore 40 % des avocats. Mais quelle alternative pour la jeune génération qui ne supporte plus la verticalité, en dehors de celle du miroir aux alouettes que représente l’installation, parfois dès la prestation de serment, dans ce qui devient une usine de fabrication en chaine de smicards en robe et d’augmentation de notre sinistralité !
Il nous faut inventer un nouveau contrat de partenariat libéral, qui assouvisse les aspirations d’autonomie des confrères jeunes et moins jeunes, leur offre un cadre d’exercice confortable pour le développement de leur clientèle, en favorisant une domiciliation, la sous-traitance et l’apport d’affaires.
A propos d’apport d’affaires : la consultation de la profession à l’occasion des états généraux de la profession, en 2019, avait mis en lumière une aspiration à la suppression de l’interdiction de la rémunération d’apport d’affaires entre confrères. Ce système, qui est pratiqué dans beaucoup de cabinets structurés, sous le manteau et en espèce chez certains indépendants, est encore prohibé au nom du risque d’atteinte que porterait sa mise en place à l’indépendance des avocats : fadaises ! Comme si l’existence d’une commission d’apport de dossiers permettait de s’immiscer ou d’orienter leur traitement davantage que l’absence de rémunération d’apport.
Mais qui peut encore le croire ! Qu’on l’interdise vis-à-vis d’autres professions, passe encore, mais quand comprendra-t-on que son instauration entre confrères serait un moyen de permettre ou de renforcer des partenariats organiques entre avocats (voire entre professions du droit et du chiffre, participant à l’indispensable structuration de l’exercice ou de l’interprofessionnalité ?
Autre sujet : il faut favoriser les flux entre le Barreau et les professions connexes, comme la magistrature, le notariat ou les fonctions de juristes d’entreprise, a minima.
L’étanchéité construite entre les professions favorise nécessairement les professions les plus souples dans leur mode de fonctionnement. Il ne faut pas s’étonner que notre profession en pâtisse en termes de perte d’attractivité par rapport à celle de juriste d’entreprise, que certains embrassent non pas après 5 ans d’exercice, mais quelque fois dès la sortie de l’école, voire sans même y passer !
Alors qu’il y a tant de sujets à dépoussiérer, comme on le voit, on assiste à une rigidité accrue de notre réglementation. Prenez les structures d’exercice que l’on pensait bientôt voir s’aligner sur le droit commun. Prenez le financement externe des cabinets, qu’il est urgent de permettre pour favoriser l’investissement dans les legaltechs : L’ordonnance du 8 février dernier balaie l’une ou l’autre de ces perspectives. Désespérant !
Sans parler de notre représentation : alors que d’autres professions organisent une rationalisation de leur gouvernance, comme les experts comptables qui ont mis en place des Conseils Régionaux, nous maintenons nos 164 barreaux, et notre mille-feuille ordinal avec barreau, associations ordinales régionales, conférence des 100, conférence des bâtonniers, CNB.
"L’union européenne, quel numéro de téléphone ?"" disait Kissinger. Celui de l’avocature ? Cherchez encore longtemps !
Bref, il nous faut changer de mentalités.
Oh, comme pour tout, il ne s’agit pas de croire au grand soir.
Mais il est urgent de mettre en place une réflexion ordinale audacieuse sur ces sujets, en l’absence de laquelle on ne résoudra nullement les difficultés de recrutement et d’attractivité auxquelles nous faisons face. Nous le faisons à Lyon, avec un groupe de réflexion sur ces sujets. Mais il s’agit d’une réflexion prospective de long terme.
« Le plus grand danger dans les moments de turbulence, ce n’est pas la turbulence mais d’agir avec la logique d’hier », dit Peter Drucker, le père du management moderne, que mentionne la directrice de l’Erage dans son article précité, et qu’elle applique si bien dans son école.
Faisons également preuve d’optimisme, l’optimisme de combat comme le préconisait Alain : opter pour « l’optimisme de but » (nous allons y arriver) associé «au pessimisme de chemin» (Ce sera compliqué et difficile).
Si certains font preuve d’audace dans la formation initiale, gageons que celle-ci gagnera nos ordres pour que notre profession retrouve toute son attractivité : elle le vaut bien.
Hubert de Boisse, avocat, membre du Conseil de l'Ordre, Barreau de Lyon
Pour approfondir les questions soulevées et les pistes de réflexion évoquées, redécouvrez notre webinar du 7 avril 2023 : "Recrutement et fidélisation des avocats collaborateurs"
1 Cf. Rapport Clavel Haeri du 6 ocotbre 2020
"Comprendre les ressorts de la nouvelle génération d'avocats : une stratégie gagnante" par Mme Enke Kebede, Directrice de l'ERAGE, Revue pratique de la prospective et de l'innovation N°2 Lexis Nexis